L'ENFANCE DE THIERNO ABDOURAHMANE

Thierno Abdourahmane a vécu ses premières années alors que son père, « grand et svelte vieillard,

a figure régulière, ... intelligente et rusée (qui) frappe par les yeux malicieux ... », (P. MARTY) était

reconnu depuis des lustres, et accepté comme « un des dirigeants de l'esprit public au Fouta», un

membre de l' « aristocratie du livre », comme le cite Amadou Hampaté BA. Paul MARTY, qui l'a

attentivement fréquenté et « étudié » en 1915, ne cache pas l'admiration réelle qu'il a ressentie de la

fréquentation de l'érudit. Il le considère comme un « lettre arabe de toute première valeur,

remarquablement instruit en sciences arabes et islamiques », qui « s'impose à tous par sa science,

sa piété et son prestige ... », etc. L'islamologue fonctionnaire colonial souligne que « plusieurs

centaines de karamoko ont passé leur jeune âge par ses mains »: il en cite un certain nombre,

notant que « ce sont en général les plus instruits », Il écrit: 

« Thierno Aliou parait avoir visé à sortir quelque peu des méthodes pédagogiques routinières des

Foula et à donner à ses élèves des rudiments arabes, » 

Thierno Aliou ne fut pas seulement l'érudit grand connaisseur de livres fondamentaux, le pédagogue

novateur remarque par Paul MARTY. II fut aussi un poète, devenu classique en arabe et en pular.

Ses enfants racontent que certains soirs, après l'extinction des feux de la lecture scolaire, il

réunissait quelques-uns des étudiants, souvent sous la direction de Thierno Oumar KANA, pour leur

faire déclamer ses poèmes, comme MAQALIDA AS SAADATI. Il écoutait de sa chambre le chœur

debout sous l'oranger dans la cour, vaguement éclairé par les braises mourantes du doudhal. Et les

adolescents, conscients de l'attention que portrait à leur récital leur maitre vénéré, y allaient de

tout cœur, en y mettant le meilleur de leur talent. Sans y penser, ils prenaient ainsi gout à la poésie,

assimilaient la prosodie arabe et, par corollaire, la peule tirée de la première. Le fait est que

beaucoup de ces élèves ont laissé aujourd'hui des poèmes de bonne facture sinon de charme, en

peul principalement, le plus productif ayant été Thierno Jawo PelleI.

C'est donc dans une communauté familiale ou l'étude des livres et les exercices de l'esprit étaient

l'activité principale sinon exclusive, que Thierno Abdourahmane a commencé à découvrir le monde.

Lorsque des dizaines d'enfants et d'adolescents, assis en rond en plein air, autour du grand feu pour

l'étude du soir, ânonnent à tue-tête lettres, syllabes ou versets coraniques recopies sur leurs

planchettes, le spectacle « son et lumière » dégage une poésie que ne peut oublier quiconque l'a

vécu ou simplement observe. Il ne faut pas chercher, peut-ont penser avec vraisemblance, il ne faut

pas chercher ailleurs la source à laquelle Thierno Abdourahmane a puise son gout pour la chose

écrite, et pour la poésie notamment. 

Au décès du Walliyyu, le 22 Ramadan 1342 H (23 Mars 1927), le doudhal comptait une multitude

d'enfants au premier degré de I ‘enseignement coranique (Lettres, syllabes et lecture du Coran),

sous la direction de garçons et filles plus avances qu'eux. Il y avait ensuite les élèves qui, ayant

achevé la lecture du Coran et maitrise la pratique de l'écriture, abordaient la traduction et l'étude de

divers ouvrages islamiques religieux et scientifiques.

Thierno Abdourahmane, malgré son jeune âge, était de ceux-là. Avec son frère (Koto) Habibou qui

avait mémorisé le Livre d'Allah sous la direction de leur père, il avait achevé Bur-hanu et Sulaymi,

deux opuscules islamiques, le second étant en vers.

Les deux frères avaient également achevé le livre de Shaykh Abou Zayd, le célèbre imam

de Kairouan en Tunisie, la Ricalat, cette épître assez volumineuse et manuel détaillé de droit et

rituel islamiques, enseigne dans toutes les écoles coraniques du Fouta-Djallon. Avec leur neveu Dai,

fils de Alfa Bakar Diari, les deux frères en étaient à la révision du Muhayyibi, un poème a la gloire du

Prophète. 

Ainsi, son père  avait eu le temps de laisser une empreinte indélébile sur l'esprit de son avant-

dernier garçon. Le Walliyyu avait perçu la vive intelligence de son enfant, qu'il encouragea

méthodiquement, de manière publique ou discrète. Le fait est que Thierno Abdourahmane, dont la

culture est aujourd'hui reconnue et appréciée dans un grand nombre de pays et de milieux

islamiques, aura toujours présent à son esprit la mémoire et le modèle de son père, malgré qu'il n'ait

vécu que onze années à l'ombre directe du Walliyyu.

Le décès de celui-ci ne manqua certainement pas de laisser son fils désemparé. Mais la providence

était la veillant sur lui, grâce peut-être à la bénédiction de Thierno Aliou, qui avait écrit dans

MAQALlDA AS SAADATI:

« Je louangerai le (Prophète) ma vie durant. Apres ma mort, qu’hérite de moi, a louanger le Prophète, un qui

m’égale ». 

Le fils mettra pieusement ces vers en exergue de son ouvrage WASIYY A-TOU AL WALIDI. 

Il y avait en fin, au doudhal de Thierno Aliou en ce mois de Mars 1927, des étudiants plus avances,

qui faisaient fonction de répétiteurs et d'adjoints d'enseignement. Thirerno Mamoudou SOW, fils de

Thierno Oumarou

Perejo, et Thierno Abdoullahi Rumirgo, fils de Salli Ouri, étaient des neveux du patriarche. Il y avait

Thierno Oumarou Kana de Taranbali, alors l'homme de confiance, le « disciple préféré » de Thierno

Aliou qui rendra le dernier souffle sur ses genoux. Il y avait Thierno Jawo Pellel, le poète, qui plus

tard écrira à propos de son collègue et aîné:

« II y a aussi Thierno Oumarou Taran, qui est élève de mon maitre; il me contrôlait et me redressait sans erreur. Le maitre l'avait aimé et rapproché de lui. En effet nombre de ses secrets, il ne les lui cachait point ... Il le mettait au rang de ses enfants, pour ce qui est visible l'amour qui reste cache est un mystère que je ne perçois pas.» (A.I.S0W : La femme, lit vache et la foi, p. 199)

 

El Hadj Ibrahima Caba: Defte Cernoya 1998