L'Ecrivain

 

Thierno Abdourahmane Bah

1916 - 2013



Kaaweedyi Djamaanu Me'en

Kaaweedyi yaltitannü dyamaanu me'en enen
ndaarii wa dhii radiyoodyi en ko dhi haalatal!    

A wonay ka ma'a dhon udditaa tun poste ma'a! 
radiyoo nanaa ko bhe Leydi Shinuwaa wowlata!

Si ko Misra udditudhaa nanaa ghur'aana on
hibhe dursitoo, hibhe dyanga yergina, dyangita.

London e Waashinton e Hindi e Makka men,
Pari men e Roomu a nanay bhe fow ko bhe haalata.

Aviyondyi immoo bimbi saare konaakiri ;
si dhi nyallu yaade ko haa Faransi dhi Waalata;

Hidhi uuma wuudha, dhi nanga laawol feewugol! 
si dhi dawu Faransi, Ko leydi meed hen hiirata.

Dhi'i ponji lontike dhe'e Koleedye dhe mawbhe men
gerunoo bhe daasi, bhe aaf lumbaa lumbitaa

Tarawoodye dhen lontii dyuroy koy mawbhemen
hino dhigginaynoo fewdo mun ko bhe sawrata.

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Thierno Abdourahmane, 1958

 

Thierno Abdourahmane a produit un nombre important d’écrits, en Pular et en arabe, en prose et en

vers (caakal et gimi). 

Les textes arabes en prose sont de caractère religieux, ce sont principalement les sermons qu’il fait

à la mosquée lorsqu’il assure l’intérim de son grand frère pour la prière de Vendredi. Des textes de

morale et de pratique islamiques, rédigés dans la langue coranique et traduits en Pular, mot à mot

selon la pratique usuelle au Fouta-Djallon. Il faut dire que sur ce point Bappa-en a souvent préféré

traduire plutôt les phrases que d’user d’un mot-a-mot: son souci de faire passer convenablement

son message est manifeste. 

Une seconde catégorie de textes arabes en prose est constituée de ses contributions aux

conférences de l'cadémie de droit islamique. Ce sont des études scolastiques sur des questions

posées à la communauté de Mahomet par la vie moderne. On a signalé plus haut quelques thèmes

développés par notre auteur: les sectes en islam, le prix du sang, le respect des contrats, les droits

de l'homme, etc... , et les mères porteuses, le planning familial, le sida. Ces textes sont publiés par la

savante compagnie, après chacune de ses conférences. 

La production poétique en arabe est plus ancienne, et plus diversifiée. Elle commence lorsque

Bappa-en, âgé de treize ans, étudiait chez Thierno Oumarou a Dara-Labe. Un certain nombre de

pièces en a été rassemblé sous le titre BANATU-AFKARI, les Fruits de mon esprit, en un volume

calligraphie par feu Al-hadj Hanafiyyou Kompayya, un jeune arabisant récemment rappelé à Dieu. Le

manuscrit a été imprime au Koweït, sur recommandation du ministre des affaires étrangères de ce

pays a son émir. Le recueil contient entre autres textes, le remerciement que l’étudiant Thierno

Abdourahmane adressa a son maitre au terme de ses études, et la réponse de Thierno Oumarou

Perejo: il contient également des éloges de dignitaires arabes que notre auteur a eu l’occasion de

voir: Nasser l'Egyptien, l’émir du Koweït, le roi Fahd d’Arabie, etc... Banatu Afkaari est un recueil de

pièces de circonstances. Deux autres ouvrages en vers ont plus d’ampleur et ont été imprimées:

MAQALIDA-AS-SAADATI, les clefs du bonheur, et DJILADA MADA.FII HIZBI-AL-QAHHA.R. 

Ces deux ouvrages développent des poèmes de Thierno Aliou, selon une pratique classique en

littérature arabe. Les deux ouvrages originaux son formés de distiques que l’adaptateur a développé

en strophes de cinq vers, content les deux initiaux, en conservant la rime et, bien entendu, le sens

général du premier texte. Le genre est appelé TAXMISU, ce qui est porte a cinq. 

MAQALIDA-AS-SAADATI a été imprime en Algérie, sous ce titre, avec en sous-titre: MIFTAHU-AL-

MASARRATI, les clefs d’allégresse, WACIYYATU-AL-WALIDI, calligraphié par Al hadj Hanafiyyou

également, a été imprime a l’imprimerie Patrice Lumumba de Conakry, cet outil fondamental de

l’industrie culturelle que les dirigeants de l’Etat guinéen laissent si malencontreusement se dégrader.

Les deux poèmes (le second cite développe le DJILADA de Thierno Aliou) sont construits de façon

similaire, en chapitres dont chacun a pour rime une des lettres de l’alphabet arabe. Le non

arabophone peut tout au moins en apprécier la virtuosité de versification. 

La production littéraire en Poular est principalement en vers, si l’on excepte les fatwas, qui n’ont en

général pas de prétention littéraire, esthétique, visant plutôt à communiquer précisément les règles

de la pratique et les thèses de la loi islamiques. Quant aux poèmes, aucun n’a l’ampleur des deux

grandes œuvres arabes dont il vient d’être parlé. Ils ont été pour la plupart publiés originellement

sous forme de feuilles volantes manuscrites que les talibes recopiaient et colportaient. L'auteur lui-

même ne s’est soucie que tardivement de la conservation de ces oeuvres, ce qui en a fait perdre un

grand nombre sans doute. Un talibe de Maaci, dans le Pita, lui avait rapporté une

copie de son épître en faveur de l’AGV, texte que Bappa lui-même n’avait plus. 

Quand la technique ronéo lui devint accessible, Bappa a tenté d'en user pour multiplier ses textes,

par exemple son hymne au Prophète sauveur. 

A. Ibrahima SOW a publié, dans LA FEMME, LA V ACHE ET LA FOI (1966) trois poèmes importants:

Fuuta hettii bhuttu, Kaaweedji Djamaanu meen, et Faatunde Siriifu Sagale. 

Boubauar Biro DIALLO a également publié une anthologie, GIMDHI PULAR, contenant deux des

textes cites par A.I. SOW, et le poème sur l’indépendance de la Guinée, LAGINE RINDHII (1974). 

Un premier recueil établi par l’auteur lui-mente a été imprimé, assez mal il faut le dire, a Patrice

Lumumba dont les typographes ne semblent pas priser les textes en langues africaines, hélas!

L’ouvrage est intitule GIMI PULAR (1987). On y trouve:

-une étude sur l’islamisation du Fouta, et une énumération de ses Almamis et de ses principaux

érudits, (pp 4 - 27) 

-l'hymne au Fouta (Fuuta hettii bhuttu), (pp 28 - 33), 

-une série de poèmes didactiques sur le pays, (pp 34 - 50),

-sur l’indépendance d’Ia Guinée, (pp 50-53), 

-les merveilles de notre époque, (pp 54 - 55),

-l’hommage à Cherif Sagale, (pp 56 - 9) 

-l’hymne au Prophète sauveur, (pp 60 - 64). 

On y trouve ensuite sept textes de Thierno Aliou, précédés d’une introduction de I. Kaba. 

Ces trois recueils sont en caractères latins et en caractères arabes.

La poésie peule écrite est traditionnellement, au Fouta-Djallon, inspiration morale; c’est une œuvre

édifiante soit directement, soit par le fouet de Juvénal. Les deux recueils de A.I. SOW et de

Boubakar Biro DIALLO le montrent bien. Thierno Abdourahmane a tenté d’élargir le champ d’action

des poètes vers d’autres thèmes, le progrès matériel, par exemple, ou bien le sentiment de la nature.

Il ne s’est pas cependant dégagé des tendances classiques, la religion et la morale. Il a cependant

chante l’amour de la patrie, et le travail, qui reviennent dans un grand nombre de ses textes. 

Le poème sur les merveilles de notre temps, nous servira pour dégager la méthode de notre auteur.

Nous en avons deux versions complètes, celle de Boubakar Biro (1974) et celle du « livre vert »,

(1987). Les deux textes ont le premier 42 vers, le second seulement 31. L’auteur a retranche le vers

11 et les vers 24 à 29 et 31 a 34 qui parlent de l’ascension du Parti Démocratique de Guinée

(PDGRDA), comme le signale A.l.SOW qui n’avait pas estimé devoir les faire figurer dans son texte. 

Les 31 vers du « livre vert» se répartissent en trois parties, indépendant l'une de l'autre quant au

thème développé. 

Les 13 premiers vers énumèrent divers éléments du progrès matériel qui améliorent et facilitent la

vie quotidienne: radio, avion, automobile, bâtiment « en dur » comme la nouvelle mosquée de Labé.

Dans ce passage, l'auteur use sans complexe de termes français foulanisés pour désigner les objets

nouveaux: poste radiyo, aviyon, miliyon, vatiiru, etc... Il enrichit ainsi le vocabulaire usuel de la

langue, comme il le fait dans bien d’autres textes, anciens et moins anciens. Ainsi dans Futa Hettii

bhuttu, ii écrit (1947) : 

Die majji no bhubhi wayta gilaasi

pete majji no newdhiri wayta siman;
wota aden amu depatlsude jawdi muun ... etc.
Dans FII PELLE (livre vert, p. 37 vers 525): 
Wano manganeesi et irniyoomi wiaama dhun 
no hebhoo e nder dhee pelle men tuma dhabbhitaa. 

Cet aspect lexical du développement des langues africaines, Bappa-en  le résout de la façon la plus

naturelle, en adoptant les désignations avec lesquelles les objets ou les actes ont été amenées.

Cette pratique se trouve également chez Thierno Samba dans son OGIRDE MALAL. 

Apres cet éloge du progrès, le poète passe sans transition a un tout autre objet, la condamnation

énergique des abus de pouvoir par les anciens chefs de canton, qui avaient été déchus le 31

Décembre 1957 par le gouvernement de la Guinée autonome. Cette partie est d’un souffle satirique

remarquable, d’où se dégage la compassion pour les faibles gens, la colère contre l’injustice et la

tyrannie. Cette partie compte 10 vers et finit elle aussi sans préavis. 

Sept vers suivent, qui reviennent sur le thème classique de la pratique religieuse. Il s’agit ici aussi

d’une satire contre ceux-là que la poursuite de la fortune volage et incertaine rend négligents dans

leurs pratiques religieuses. 

Le 31 ème et dernier vers coupe court au poème, comme dans bien d’autres textes, sous le

prétextes que: 

<< junnugol ngol haabhinay /hedhotoodho>>  allonger finit par ennuyer l’auditeur. 

Pourquoi donc l’auteur écrit-il l’auditeur (hedhotoodho), alors qu'il s'agit d’un texte écrit, qui

s’adresse donc à un lecteur (jangoowo) ? N’est-ce pas que le poète a conscience d’être quelque

peu l’albatros de Leconte de Lisle, au milieu des matelots incultes? Ou peut-être se rappelle-t-il,

après l’effort pour créer ce qu’il a réussi à coucher sur sa feuille, se rappelle-t-il au fond qu’il écrit

pour un public virtuel, qu’il écrit en fait pour lui-même, pour se soulager de la pression qu’exerce sur

lui l’inspiration poétique. Il n’a pas de public suffisamment averti pour accentuer et prolonger

la poussée de la muse, ou pour en apprécier le produit. Il lui manque ce public attentif qui, par

l’intérêt qu’il manifeste envers les choses de l’esprit, l’aurait contraint à se dépasser en allant au-

delà de la fatigue ou de l’ennui du travail intellectuel créateur, comme il faisait quand il étudiait a

Daara, comme il a conseillé à Sori Kandya... 

C’est un drame connu de presque tous les hommes de lettres actuellement en Guinée ici. L’artiste

étouffe lorsque le public lui fait défaut, un public qui le comprend, s’entend, un public exigeant. Je

pourrais donner des tas de cas vécus pour illustrer cela, mais je pense que le lecteur de ce texte n’a

pas besoin de ces exemples, de ces preuves empiriques, et puis: 

« Junnugol ngol haabhinay jangoowo ». 

Un autre thème cher à Thierno Abdourahmane est l’évocation de son Fouta, ses paysages et ses

habitants. On trouve des passages très beaux dans la plupart des poèmes, notamment dans Futa

hettii bhuttu, qui est l’un des plus anciens. En 1975, il a composé une vingtaine de pièces

didactiques, sur les paysages et les événements coutumiers, et les saisons. Le dernier de ces

textes, qui sert de conclusion (lannirdhun) donne une bonne idée de la perception que le poète a de

la nature: 

-Si tu pénètres dans l’ombre d’une futaie ou d’un arbre géant pour te reposer, que t’évente un vent frais, tu te relaxes;
- Si tu vas dans une rizière mure de son riz, ou que tu entres dans un jardin de bananiers en fleurs;
-Si tu t’assieds au bord d’une grande rivière, observant ses trombes d’eau se bousculant, se jetant les unes sur les autres, en cadence
-Si tu vas dans un large boowal, que tu promènes tes yeux sur l’horizon, à les en lasser;
-Si tu escalades une grande et haute montagne, jusqu'à atteindre le faite extrême, contemples ce qui parait;
-Tu seras par la témoin, tu reconnaitras les beautés créées pour notre pays, et le bienfait sans fin;
-Tu reconnaitras qu’il t’incombe de travailler pour développer ce pays notre, de veiller sur lui, que nul ennemi n’en échappe.

Il s’agit d’une évocation, non d’une description de paysages foutaniens, une évocation qui éveille

chez le lecteur des souvenirs sur son propre foulassoo, son propre horizon d’enfance. Un texte

impressionniste en somme, source de joies subjectives, personnelles. Le poète ne se donne pas la

peine d’expliquer ses propres perceptions et sentiments, il met le lecteur en situation de se

remémorer ses perceptions et sentiments propres. Le poème a pour but d’amener le lecteur à

prendre conscience de sa propre subjectivité. N'est-ce pas là tout l’art de la poésie? 

Mais le plaisir intellectuel a, selon le poète, un cout, une finalité: c’est une invite, une invite au travail

créateur de progrès, travail présente comme une obligation morale, sinon religieuse, celle-là

découlant de celle-ci: le texte se poursuit en effet ainsi: 

O frère, tu vois les beautés pour ton pays 
créées, et les bienfaits et ces richesses indestructibles! 
Veilles sur ton pays, aimes tes compatriotes, éduques tes enfants,
secoures tes ascendants, souffres pour eux,  tu ne t’en repentiras pas! 
Qu’ici je m’arrête, ceci suffit pour commencer 
à faire comprendre le don de Dieu Tout-puissant, infatigable, 
Dieu, sauvegarde-nous, sauvegarde la Guinée, accrois la foi, 
l’union et notre compréhension, et des bénédictions sans fin. 

En un raccourci remarquable, le poète énumère ses idées sur la société et son devenir: pour que se

perpétuent les beautés, et les bienfaits et les richesses répandus à profusion sur le pays, ses

concitoyens doivent se ceindre les reins, et travailler dur. Ils doivent notamment éduquer leurs

enfants à percevoir ces bienfaits providentiels, ales aimer, à désirer en jouir perpétuellement. N’est-

ce pas cela l’amour de la patrie, pour laquelle une prière sobre mais complète est faite, qui termine

le poème? Le lecteur, après ce dernier vers, ajoutera machinalement, mais avec ferveur: Amen! 

Thierno Abdourahmane a enrichi la littérature écrite du Fouta-Djallon de pièces remarquables,

malgré le caractère circonstanciel de leur création. C’est à cela que se reconnait le poète, l’écrivain

de talent. Car la fiction nait toujours du réel; l’œuvre littéraire, née d’un événement ou d'une situation

observés ou vécus, crée à partir de cela une situation imaginaire perpétuelle, dont la connaissance

façonne les esprits de la communauté. On lira toujours avec émotion, et l’on récitera des passages

de l’Hymne au Prophète sauveur pour ce qui est des textes de caractère sacre, l’hymne au Fouta-

Djallon dans le profane. On lira avec un plaisir nostalgique les pièces bucoliques sur les terroirs et

climats foutaniens. 

Comme homme de culture, Thierno Abdourahmane est un progressiste, incontestablement. Il est

progressiste dans sa vie privée, tout comme dans sa conviction islamique. II est progressiste dans

ses créations littéraires en Poular...

 

El Hadj Ibrahima Caba: Defte Cernoya 1998