Alpha Yaya Diallo

Alfa Yaya Diallo Roi de Labe


De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »

Par Mamba Sano

Sans précautions oratoires d'introduction, à

brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,

Korofo Moussa lança la première phrase de

son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka

» ... phrase reprise par Silatéka pour

donner le ton, puis par la troupe entière

jouant sur le Kora, chantant et dansant avec

un ensemble parfait. Lire la suite...

 

La nouvelle fut annoncée à Labé au conseil des anciens, après la prière traditionnelle du vendredi. Alfa Ibrahima

Diallo, prestigieux landho (roi) du diiwal (province), venait d'avoir un fils, le cinquième. Dieu le lui avait envoyé par

l'intermédiaire de Kumantyo, une princesse originaire de Ngaabu, le royaume mandingue situé à l'ouest. Le

nouveau prince était né à Fulamori, un village situé précisément aux confins du Labé et du Ngaabu. Il avait reçu le

nom de Yaya, « le vivant », et, par anticipation, le titre honorifique de moodi (« lettré »). Les anciens de la province,

représentant les grandes familles du Labé, se formèrent en cortège pour aller congratuler chez lui le grand Alfa

Ibrahima, fils d'Alfa Salihu, petit-fils de Modi Alusayni, descendant du prestigieux Alfa Muhamadu Sellu, dit

Karamoko Alfa Mo Labé, premier alfa du Labé et compagnon du légendaire Ibrahima Sambegu, dit Karamoko Alfa

Mo Timbo, marabout thaumaturge, ascète mystique, qui jeûna sept ans, sept semaines et sept jours, avant

d'entreprendre la cruelle guerre sainte de 1726 qui aboutit à la création du royaume du Fouta-Djalon.

Cette énumération dit assez de quelle lignée illustre est issu le prince qui vient de voir le jour! La plus illustre du

Labé, la plus puissante du Fouta. N'a-t-elle pas donné au royaume de nombreux lamɓe, chefs suprêmes des

croyants de la région? De la mosquée de Labé au « carré » du lanɗo adossé à la petite rivière Saase qui cerne la

ville, il n'y a que quelques pas, et une haie de fougère, barrière dérisoire mais sacrée, car nul ne songerait à venir

troubler la quiétude de la cour, une dizaine de cases réparties autour de celle du souverain. Toute la population du

Labé, celle de Dow-Saare et de Ley-Saare, les quartiers du centre, de la mosquée et du négoce, comme les

habitants des collines qui entourent la ville, accompagnent les notables en chantant et en dansant: un nouveau

prince est né, et il y a lieu de se réjouir. Sur le seuil de sa case royale, la seule que l'on puisse approcher après avoir

pénétré dans la cour, Alfa Ibrahima accepte avec la sérénité qui est sa marque les félicitations des anciens. Tous

sont ses frères, ses cousins ou ses compagnons d'armes. Autour du landho, une dizaine de guerriers, armés de la

lance d'apparat, forment comme une garde attentive , les prières succèdent aux souhaits de longue vie. Le lanɗo

écoute tout en inclinant sa tête enturbannée. Il approuve l'intention du conseil d'envoyer un messager, porteur de la

bonne nouvelle, à Fugumba, capitale religieuse du Fouta, siège de la grande mosquée, où l'ancêtre d'Ibrahima et

ses compagnons proclamèrent jadis la guerre sainte. Un autre messager ira à Timbo, capitale politique ou réside

l'Almami du Fouta, dont le turban blanc à neuf tours symbolise l'autorité qu'il détient sur les neufs provinces. Alfa

Ibrahima approuve en silence. Peut-être, en écoutant les louanges, les prières, les souhaits qui se succèdent sur les

lèvres de ses visiteurs, a-t-il l'intuition du destin hors de pair qui attend son dernier-né? Si une vision le visite, il n'en

laisse rien paraître. C'est avec son sourire habituel et lointain qu'il prend congé des notables de Labé, avant de se

retirer lentement dans l'ombre de sa case royale, pour reprendre sa prière interrompue ou sa méditation.

Lorsque Modi Yaya, le futur lanɗo du Labé et héros du Fouta, fait son entrée dans le monde, vers 1850, la date n'a

pu être déterminée avec exactitude, le royaume de Fouta-Djalon présente des caractères particuliers. En

premier lieu, il est régi par une Constitution originale sans doute unique en Afrique, basée sur l'alternance au pouvoir

de deux partis politiques.

• Le parti alfaya, d'abord, qui groupe les héritiers de Karamoko Alfa, le premier des almamis fondateurs du royaume

religieux allié à l'ancêtre de Modi Yaya.

• Le parti soriya ensuite, celui des descendants du second almami du Fouta, Ibrahima Sori Mawɗo, cousin du

premier souverain.

De la fin du XVIIIe siècle jusqu'au début du XXe siècle, le jeu de bascule du pouvoir a fonctionné à peu près

régulièrement. Tous les deux ans, un alfaya a remplacé un soriya, qui a laissé ensuite sa place à un alfaya. Pendant

l'interrègne, le souverain se retire dans sa « résidence de sommeil » située non loin de la capitale de Timbo. De

1726 à 1896, quatorze almamis se sont succédé sur la terre du Fouta, les deux premiers ayant régné

successivement, les douze autres alternativement. Ce système original de gouvernement s'est répercuté au niveau

des neuf provinces depuis la fin du XVIIIe siècle, la province du Labé, par exemple, est gouvernée alternativement

par un Alfa (on l'appelle aussi Tierno, ailleurs, à Timbi) se réclamant du parti alfaya ou du parti soriya. Un autre

caractère du royaume réside dans la perfection de ses institutions. L'organisation interne avait atteint, aux différents

niveaux, un degré qui laisse rêveur, quand on se reporte à ce qui se passait en Europe à la même époque. Voici

comment elle se décomposait, en remontant l'échelle hiérarchique. Tous les croyants, même ceux des hameaux

sans mosquée bâtie, se réunissaient le vendredi pour la prière. Ils élisaient un chef de famille, ou de village, qui avait

autorité sur la communauté, rendait la justice, gérait le trésor et la représentait auprès du district. Chaque district

avait un représentant au chef-lieu de la province qui participait à l'élection du chef de la province. L'assemblée de la

province se réunissait chaque vendredi. Le représentant qui manquait d'assister à trois prières du vendredi

successivement, sans motif valable, risquait de se voir exclu de la communauté des croyants et de devoir rendre sa

citoyenneté et son état d'homme libre. L'assemblée de province était toute-puissante et prenait les avis d'un

conseil des anciens, sorte de sénat de neuf membres, représentant les principales familles de la région. C'est lui qui

remettait le turban de la province a son chef, à charge pour l'assemblée de ratifier cette élection. Le nom du roi de

diiwal était ensuite soumis à l'almami. La province élisait aussi une cour de justice, composée de trois magistrats,

ou cadis, assistés d'assesseurs. Cette cour servait de cour d'appel aux juridictions inférieures, les tribunaux des

districts, des villages, des hameaux. Elle pouvait même prononcer la peine de mort, mais la sentence devait être

soumise à l'almami à Timbo. Parallèlement, existait une armée provinciale d'hommes libres et musulmans

cantonnée au chef-lieu de la province. En cas de guerre sainte, ou de danger particulier, on pouvait faire appel à

des esclaves. Le trésor provincial était géré par le souverain élu et alimenté par les impôts, les taxes, les butins

ramenés des expéditions ou des guerres saintes, des contributions volontaires, etc. L'élection de l'almami,

souverain du royaume théocratique, avait lieu tous les deux ans à Fugumba, suivant la loi de l'alternance. Elle était

confirmée par une autre assemblée, le Mbatu ou Teekun Mawɗo, grand conseil des anciens des neuf provinces.

Son choix devait être ratifié par la grande assemblée du Fouta, composée de délégués des assemblées des neuf

provinces. L'almami élu recevait neuf turbans symboliques, le titre suprême, un Coran, une lance pour la guerre

sainte, un tambour, ou tabala, pour convoquer les fidèles. L'almami hissé à l'honneur suprême restait le chef de la

province-capitale, Timbo. Il ne détenait pas le pouvoir absolu. A ses côtés siégeaient deux conseils: l'un pour la

province de Timbo, l'autre représentant les neuf provinces du royaume. De plus, une assemblée des croyants se

réunissait chaque vendredi à Timbo, capitale politique, comme dans les chefs-lieux des autres provinces. Cette

organisation politique de type fédéral est très en avance pour l'époque, ce qui rend encore plus étonnante l'absence,

d'observations sérieuses de la part des voyageurs européens, qui la sous-estiment ou l'ignorent même totalement.

Comme d'ailleurs ils omettent de souligner, à l'intérieur du système, l'importance particulière du diiwal de Labé, sur

lequel règne la lignée des Kaliduyaɓe à laquelle appartient le puissant Alfa Ibrahima Diallo.

Par sa superficie (50.000 km2 environ), le Labé est à lui seul aussi grand que les huit autres provinces du Fouta. Sa

population équivaut au total des autresdiiwe, et ses réserves de soldats, ses arsenaux, accentuent sa position

privilégiée, sans parler du rayonnement religieux qui s'étend bien au-delà des frontières du royaume, c'est au Labé

que la guerre sainte a puisé sa source. Au fil des années, voire des siècles, les chefs de la grande province ont su

maintenir ou étendre leur influence; tout en prêtant grande attention aux affaires du royaume du Fouta, les grands

lamɓe (sing. lanɗo) du Labé n'ont cessé de fortifier les frontières de leur diiwal et de les repousser sous les

moindres prétextes. La guerre est pratiquement permanente, avec, à la fois, les fétichistes de Guinée et de

Casamance, et les populations côtières, d'origines variées, qui prétendent interdire aux montagnards l'accès de la

mer. Les batailles, les victoires, emplissent la mémoire des anciens. Et quelles batailles, quelles victoires! Ne dit-on

pas que, fort de ses faits d'armes et de ceux de ses ancêtres, le grand Alfa Ibrahima Diallo peut, aujourd'hui, alors

que le siècle des Européens atteint son milieu, traiter d'égal à égal, s'il le désire, avec le souverain de Timbo? On

dit aussi que le Labé, si beau et si riche, si près de Dieu, est le coeur battant du Fouta, et que son alfa est le vrai roi,

selon Dieu. Qu'un chef si puissant, et si modeste à la fois, ait reçu de Dieu un nouveau descendant ne peut qu'être

un événement important. Et c'est bien comme tel qu'on le célèbre dans le moindre village du Labé. Les échos des

fêtes atteignent les limites du grand royaume, jusqu'au fond des neuf provinces. En vérité, sans qu'on le sache,

c'est le destin du royaume du Fouta et celui d'une partie de l'Afrique que cette naissance royale vient d'infléchir.


Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar
Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)