Alpha Yaya Diallo

Alfa Yaya Diallo Roi de Labe


De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »

Par Mamba Sano

Sans précautions oratoires d'introduction, à

brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,

Korofo Moussa lança la première phrase de

son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka

» ... phrase reprise par Silatéka pour

donner le ton, puis par la troupe entière

jouant sur le Kora, chantant et dansant avec

un ensemble parfait. Lire la suite...

 

Modi Aghibu comprend très vite le parti qu'il peut tirer de cette popularité qu'il entretient avec habileté. Le fils de

l'alfa exilé, malheureusement pour la dynastie, ne possède pas les qualités de jugement, de calme, de son père : un

incident va causer sa perte. A l'occasion d'une discussion, il ne peut s'empêcher de tirer son sabre pour menacer un

commerçant français, nommé Proust. Celui-ci naturellement déposa plainte, et le fils d'Alfa Yaya fut arrêté par les

tirailleurs, enfermé dans un poste militaire, et amené à Timbo pour être jugé. D'après certaines sources, on pense

qu'Alfa Yaya, prévenu à Abomey, tenta de faire délivrer son fils par des partisans en organisant une embuscade sur

la route de Labé à Kindiya. En tout état de cause, Modi Aghibu fut traîné devant le tribunal, reconnu coupable de

coups et blessures et de menace de mort à l'égard d'un Français; il fut condamné à deux ans de prison et n'y

échappa qu'en exigeant de rejoindre son père, le roi en exil. Sa requête fut acceptée. Alfa Yaya perdait un agent

actif. Sa déception dut être avivée par le sentiment que Modi Aghibu, en dépit de ses qualités au combat, manquait

du calme et de la modération indispensables aux grandes entreprises. Heureusement, il avait bien d'autres

partisans au Labé, toutes les nouvelles qui affluaient vers la cour reconstituée à Abomey fortifiaient ses espoirs. Son

peuple attendait son retour et espérait de lui qu'il prît la tête de la guerre sainte, de la guerre de libération!

L'agitation continuait, s'amplifiait ; des populations entières quittaient le pays soumis à l'homme blanc et se

réfugiaient pour attendre le retour du lanɗo, à la frontière du Sénégal ou du Soudan. Partout les Peuls vénéraient son

souvenir, cristallisant sur son nom leurs besoins d'indépendance et de liberté. Tous les griots chantaient ses

louanges, oubliant qu'il avait aussi en son temps perçu l'impôt et fait couper des têtes d'opposants et ou de

récalcitrants.

Adroitement favorisé par ses fidèles, le culte d'Alfa Yaya prit sur les hautes terres du Fouta une dimension

considérable. C'est à cette époque de sa vie, pendant les cinq années que durèrent son exil à Abomey, qu'Alfa

Yaya, roi sans royaume, devint le symbole de la lutte contre l'envahisseur infidèle, de l'opposition à la pénétration

occidentale, et le héros national de son pays.

Les autorités profitèrent de l'exil d'Alfa Yaya pour disloquer le Labé en vingt-deux districts dont les chefs relevaient

directement de l'administration française et non plus du pouvoir de Timbo. Ils n'hésitèrent pas à emprisonner des

chefs qui protestèrent par la parole ou par les actes contre ces décisions. Alfa Alimu, qui avait succédé à Modi

Aghibu, fils d'Alfa Yaya, à la tête du diiwal de Labé, se montra d'abord habile diplomate, puis entra en conflit ouvert

avec la puissance coloniale, arrêté, il fut traduit devant un tribunal et emprisonné pour attaque à main armée.

Relâché et emprisonné de nouveau, il fut finalement condamné aux travaux forcés à perpétuité par la cour d'assises

de Konakry, en 1912. Il mourut peu après à la prison de Fotoba. Par tous les moyens, l'administration coloniale

s'efforçait de faire disparaître l'ancienne organisation des lamɓe. Après l'emprisonnement d'Alfa Alimu, le Labé fut

partagé en trois territoires, dont l'un fut rattaché au cercle de Kumbia.

D'Abomey, Alfa Yaya ne pouvait qu'assister, impuissant, au démembrement politique, au morcellement du Labé et

de tout le royaume du Fouta. Il tenait régulièrement conseil avec son fils, ses conseillers et les messagers qui

apportaient des nouvelles du royaume. Ses visiteurs étaient nombreux. Parmi eux, beaucoup de Haussa-Fulani,

venus de l'empire de Sokoto. Il s'intéressait aux progrès de l'Islam dans la région. Souvent, il se faisait raconter

l'histoire de Béhanzin, de son règne, de ses luttes et de ses déceptions dans ses rapports avec le colonisateur. Il se

plaisait à commenter le Coran et suivait les longues discussions théologiques des marabouts de sa cour.

A Abomey, le roi en exil vivait dans l'abondance. Ses serviteurs pratiquaient l'élevage des bovins et tiraient, du lait

frais ou caillé, l'essentiel de leur nourriture. Un Peul digne de ce nom ne peut vivre sans boire de lait. Alfa Yaya ne

pouvait démentir le proverbe: « Un Peul sans vache n'est pas un vrai Peul. »

Il conservait à distance un certain contrôle sur le Labé, même sur ses biens , ainsi plusieurs délégués, comme Ali

Ndaw, étaient chargés de récupérer ses revenus et de payer ses dettes. Quand un des frères d'Alfa Yaya, nommé

Mohammadu Haadi, détourna un gros troupeau à son profit, le roi exilé chargea un conseiller sur place, Abdullaahi

Kossala, de rétablir la justice; ce qui fut fait promptement. Ainsi, le roi du Labé réussit à garder le contact avec son

peuple, à magnifier son image et à préserver son patrimoine. Nul doute qu'il passa une partie de son temps à

échafauder des projets de revanche! Quand sa peine, l'exil de cinq ans, approcha de son terme, ses dispositions

étaient prises. Au Labé, tout était en place pour recevoir le héros et sans doute reprendre le combat interrompu.

Depuis le mois d'août, Alfa Yaya a, par lettre, interdit à ses captifs de se déplacer. Des instructions secrètes

nombreuses ont été remises aux notables. Tout est prêt pour le retour du souverain.

Le colonisateur savait à quoi s'en tenir. Il n'ignorait rien du climat qui régnait au Labé. Mais il n'y avait aucun moyen

légal de prolonger l'exil d'Alfa Yaya, lequel avait été, d'autre part, violemment critiqué en France.



Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar. Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)